C'est à Rieussec, petit village de l'Hérault, que j'ai rencontré mon premier « décrotteur » dans les registres d'état civil. Lorsqu'il est mort en 1839, à l'âge de vingt ans, on ne connaissait même pas son nom. Il était enfant naturel, originaire de Bédarieux. Il s'est endormi pour toujours dans le grenier à foin de François Fraisse, qui était aubergiste au hameau de Sainte-Colombe.

Comment devient-on décrotteur ?

Au départ, c'est un nomade « qui n'a de préférence marquée pour aucun lieu, pas même pour la masure où il est né » affirme Louis-Auguste Berthaud en 1841. Il vit de l'air du temps, aime flâner, se chauffer au soleil sans but précis. Un jour, au café du village, « on lui offre un verre de bière ; il accepte et boit à la santé de tout le monde. On lui offre du vin, il accepte ; on lui offre de l'eau-de-vie, il accepte encore ; on lui offre du punch, il se grise, il est sauvé ! Cet homme a la mémoire toute remplie d'anecdotes charmantes, de jeux de mots piquants, de calembours à peu près neufs ; il amuse, il fait rire ; on l'entoure, on le plaisante, on lui serre la main, on le nomme à l'unanimité décrotteur de l'endroit ! Les ustensiles nécessaires à son nouvel état lui sont achetés avec le produit d'une quête ; on lui glisse dans la poche une ou deux poignées de gros sous, et, dès le lendemain, on le voit à son poste, dans l'exercice de ses fonctions.

Et le décrotteur d'occuper ses journées à nettoyer les rues, les chemins, en les débarrassant de la boue et des déchets qui les encombrent.

Un doux rêveur

« Pour lui, rien n'est vrai ici-bas, excepté les pièces de deux sous avec lesquelles on a du pain, du vin, des oignons, des œufs rouges, du cervelas, un gîte pour la nuit, des habits de rencontre, du cirage, des brosses, une boîte, un cadenas pour fermer la boîte, et une casquette de peau de chat. Tout le reste n'est que mensonge, vanité, abomination. »

Petits métiers, petites gens, rendons hommage à ces personnages atypiques qui ne sont aujourd'hui les ancêtres de personne afin qu'ils ne soient pas complètement oubliés.