Un enfant mort-né, enterré le jeudi et déterré cinq jours plus tard, le mardi suivant, par ses parents, puis veillé par un ermite et des « femmes dévotes », qui finit par ouvrir un œil et devenir rouge vermeil pour demander le baptême, voilà une curieuse histoire de 1672... mais surtout une vraie leçon d'histoire !

Le IIe de may de l'an 1672 est venu au monde, au village de La Chapelle
dépendante de l'abbaye et seigneurie de Moyenmoustier, un enfant morné
dont le père est Demenge Chaudron et Claudotte, sa fem(m)e, sa mère, lequel ayant esté enterré depuis
le jeudy 6 dudit moy, près la chapelle de l'hermitage de No(t)re Dame
de Mallefosse, jusqu'au mardi suivant auquel jour estant desterré
par les parents dudit enfans et quelqu'autres femmes dévotes, ils
le veillèrent toute la nuit avec l'hermite dudit Malfosse nommé
F(rère) Bernard Jacquemin, à la chapelle devant le grand autel dédié à la
S(ain)te Vierge, et le lendemain matin, moy le soubsigné fesant
l'office de curé de la paroisse de Monyenmoustie, je fus prié par les parents
et amis d'y aller dire la messe. Laquelle finie, et environ une
bonne heure après, l'enfant exposé tout nud au pied de l'autel de la
S(ain)te Vierge, en présence de quelques honnestes matronnes, qui prioit Dieu
et la S(ain)te Vierge pour faire avoir baptesme audit enfans, ouvrit l'oeil
droit tout entièrement, après avoir devenu fort rouge et vermeille et
auparavant auquel estat il est demeuré longtemps
rouge et l'oeil ouvert, ce qu'ont veu plusieurs personnes à ce sujet
appelées et particulièrement le frère hermite lequel sur cela le
baptiza et l'enfans après referma l'oeil com(m)e auparavant, c'est
pourquoy terre sainte luy a esté donnée. Et ce cas miraculeux
est arrivé par l'intercession de la Très S(ain)te Vierge. C'est de quoy je
reçut tesmoignage à l'honneur de Dieu et à la gloire de sa très Sainte Mère
et pour l'édification de tous les fidelles.
D(om) André Musnier, religieux
fesant office de curé de Moyenmoustier.

Qu'est-ce que nous enseigne ce texte, au-delà de la curiosité amusée ?

On remarque que l'enfant a été enterré une première fois dans une sépulture « près de la chapelle de l'ermitage », c'est-à-dire hors du cimetière chrétien. Il faut savoir qu'un enfant mort avant de recevoir le baptême (ou même juste l'ondoiement), tel un enfant mort-né, est appelé à errer indéfiniment dans les limbes, selon la religion catholique. Ici, grâce à ses parents qui l'ont exhumé et aux signes de vie que lui-même a donné, il a gagné le droit d'être « enterré en terre sainte », c'est-à-dire dans le cimetière consacré parce qu'il était ressuscité pour recevoir le baptême avant de rendre enfin son dernier souffle.

Combien d'enfants issus de nos ancêtres ont ainsi été écartés de la sociétés, exclus des tombes ou caveaux familiaux ? Sans doute des centaines, voire des milliers, enterrés à la va-vite dans les bois et oubliés aussi rapidement.

Merci au Cercle généalogique du Toulois qui a repéré cette pépite dans les registres de Moyenmoutier (88).