La grande majorité d’entre nous a découvert l’existence de Jean Clémentin le jour de sa mort, le 05 janvier 2023. C’est pourtant un personnage fascinant dont la vie est digne d’un roman. Né en 1924, il fut officiellement journaliste au Canard enchaîné de la fin des années 1950 jusqu’à 1989. Longtemps, le service information du journal fut même organisé sous sa direction. Mais le plus extraordinaire, c’est qu’on découvrit, en février 2022 seulement, que Jean Clémentin aurait aussi été espion pour les services secrets tchécoslovaques de 1957 à 1969, pendant la Guerre froide et durant son plein exercice au sein du Canard !

Alors, comme on n’a pas tous les jours l’occasion d’établir la généalogie d’un personnage aussi passionnant, je me suis attelé à rechercher les ancêtres de Jean Clémentin. Et j’ai découvert une famille très animée sur le plan généalogique...

Un nom, mais lequel ?

Au cours de sa longue vie, Jean Clémentin se faisait aussi appeler Jean Manan, selon la notice Wikipédia qui lui est consacrée. Normal pour un individu qui veut séparer vie privée de vie publique, comme c’est souvent le cas dans le monde du journalisme, des médias ou du spectacle. Mais, de manière surprenante, Clémentin était aussi un nom de création récente. Il a été forgé sur un des trois prénoms de son arrière-arrière-grand-mère, Angélique Clémentine Victoire Gast, dont le fils né de père inconnu en 1828 est devenu Fulgence Auguste Clémentin. La mère ne l’a pas reconnu, peut-être si elle l’avait fait se serait-il nommé comme elle...

De toute façon, le patronyme Gast lui-même était issu de nulle part car Angélique était la fille de Robert Gast, un enfant de père et mère inconnus. Il avait été trouvé le 24 mars 1780, « exposé sur le rivage de la grande route de Bayeux à Isigny, sur le territoire de la commune de Surrain (14) ». Aucun document ne permet de savoir comment il a acquis son nom, mais son acte de baptême est néanmoins très intéressant puisqu’il montre une solidarité exemplaire, indiquant que « ledit enfant a été mis à la charge des paroissiens entre les mains de Jacqueline Fleury femme de Robert Pouchin, pour en avoir soin et le gouverner ainsi que de besoin est à un enfant dans cet état ». On sait juste qu’il a été prénommé Robert mais le mystère règne sur le nom Gast qui lui a été attribué par la suite car il n’était même pas celui de ses parents nourriciers... L’enfant a dû devenir la mascotte du village puisque son acte de mariage rappelle qu’il a été élevé par tous les habitants...

La vie ne tient qu’à un fil

Toujours sur la branche paternelle de l’arbre généalogique de Jean Clémentin, on découvre aussi une grand-mère, Azéline Alix Rauline, dont l’existence ne tenait qu’à un fil. Née en 1870 dans la maison de son grand-père maternel, elle était issue d’une toute jeune dentellière d’à peine 18 ans, Julienne Armandine Rauline, et d’un père inconnu. La jeune maman n’eut pas le plaisir de voir grandir sa fille car elle mourut en janvier 1872, à l’âge de 19 ans, et Azéline fut élevée par ses grands-parents qui avaient quasiment l’âge d’être ses propres parents.

L’existence de la maman de Jean Clémentin n’a pas été beaucoup plus longue. Madeleine Bandrac était née en 1899 et décéda à l’âge de 23 ans, à peine plus d’un an après la naissance de son fils unique. René Clémentin n’ira pas chercher bien loin sa seconde femme, puisqu’il se remariera en 1926 avec Renée Bandrac, la sœur de Madeleine, qui lui donnera deux autres enfants dont le premier naquit trois mois après leur mariage...

Normand, mais pas que...

Né à Douvres-la-Délivrande, commune de la Côte de Nacre, Jean Clémentin est issu d’une famille exclusivement normande, ou presque. Du côté paternel, pour ce qu’on en sait (je veux dire hormis les origines inconnues qui le resteront), tous les ancêtres sont nés dans le Calvados, à l’exception de Suzanne Varignon, à la sixième génération, native de la Manche. Du côté maternel, le sang normand s’exprime plus largement sur un plan géographique avec des ancêtres dans le Calvados et la Manche mais également dans l’Orne. Un quatrième père inconnu laisse aussi la porte ouverte à d’autres origines, il s’agit de celui de l’arrière-grand-mère Drosine Almeria Brion, née en 1855 et reconnue par sa mère Catherine Brion en 1874, quelques mois avant son mariage.

Le seul « étranger » dans toutes les branches connues de cet arbre est un nordiste qui apparaît à la sixième génération et qui donne son nom à la branche maternelle de l’arbre : Enoch Bandrac. Il était né en 1775 à Téteghem, dans l’actuel département du Nord, et à l’époque « canton de Bruges », ce qui n’a rien d’étonnant car historiquement, cette zone appartenait au comté de Flandre et relevait de la zone linguistique flamande. Il était arrivé en Normandie par ses fonctions de militaire car, lors de son mariage à Saint-Aubin-d'Arquenay (14), il est dit « grenadier dans le bataillon des côtes du Calvados ». Son prénom, vétérotestamentaire, devint au fil du temps « Ivinac » ou « Yvinac » dont la consonance devait sans doute lui permettre une intégration plus facile dans le milieu géographique où il passa sa vie. Il ajouta également Blaise comme deuxième prénom dans certains actes, sans doute un prénom d’usage comme c’était de coutume autrefois.

Cousinage et exotisme

Lorsqu’il se stabilisa dans le Calvados, Enoch avait 23 ans. Il épousa une jeune fille de Colleville-sur-Orne, qui avait 8 ans de plus que lui. Le cas est classique pour ceux « qui venaient d’ailleurs », car peu de parents étaient enclins à leur donner la main de leur fille et ils devaient choisir une épouse parmi celles qui n’avaient pas encore trouvé de conjoint. Celle-ci s’appelait Jeanne Piéplu et elle fait cousiner Jean Clémentin avec le comédien Claude Piéplu qui avait lui aussi ses origines dans cette commune normande, devenue Colleville-Montgomery depuis la Seconde guerre mondiale.

La naissance et les origines d’Enoch Bandrac sont connues par son acte de mariage et la publication des bans, mais son baptême n’apparaît pas dans le registre où il devrait avoir sa place. Le nom de ses parents diffère également en fonction des actes : dans l’acte de mariage, Enoch est dit fils de Pierre Jacques Bandrac et d’Isabelle Claire ; dans la publication des bans, les parents indiqués sont Enocq Beandracq et Elisabeth Desmarets. La réalité est une combinaison des deux car j’ai retrouvé à Téteghem le mariage de Pierre Banderaet avec Isabelle Dammerez célébré le 04 juin 1771. L’un est veuf mais le nom de son ancien conjoint n’est pas précisé, l’autre n’est pas accompagnée de ses parents au mariage car ils devaient être décédés, seul son tuteur est présent. Les certitudes de filiation s’arrêtent donc ici, même si certains arbres sur Geneanet prétendent trouver des ancêtres aux deux conjoints.

Faut-il conclure de cette accumulation de mystères dans la généalogie de Jean Clémentin, entre enfants nés de pères inconnus et origines flamandes complexes, qu’il était normal que lui aussi ait le goût du secret ? Sans doute pas. Mais il en est des arbres familiaux comme des individus, certains cachent plus de mystères que d’autres. En étudiant les 6 premières générations des ancêtres de cette famille, je n’ai sans doute soulevé qu’une partie de ces énigmes, les générations suivantes en recèlent sans doute encore bien d’autres.